Bonne nuit.
Mes doigts passent doucement dans les
cheveux, remettant délicatement une petite mèche hors du visage loin des tracas de l'éveil. Je me penche près d'elle et inspire au rythme des mouvements de sa cage thoracique. J'ai chevauché longtemps, bien longtemps, afin de pouvoir trouver un chemin qui me mènerait à toi. Et un jour, tu as cessé de fermer la porte, Clea.
Je m'agenouille près d'elle, me confonds avec les ombres de la pièce, lance une brève œillade à la porte mais elle ne s'ouvrira pas. Elle ne peut plus s'ouvrir, d'ailleurs, elle n'est même plus là. Ma main dessine la silhouette
arrondie de son ventre sans la toucher et le ventre s'aplanit doucement, peut-être même trop. J'aurais pu simplement sauter dessus à pieds joints comme un enfant trop heureux de sauter sur le matelas de ses parents. J'y aurais sauté, avec une telle joie que peut-être même mon sourire se serait détaché de mon visage et serait tombé entre ses mains. Mais Clea ne se laisserait peut-être pas prendre à de petits jeux de sourires, de dents qui tombent sur le plancher, d'histoires d'horreur classiques...
Je me redresse et la contourne, les paupières closes et me place dans son dos. Il te faut quelque chose de spécial, pour que je puisse te regarder te débattre, encore et encore. Remplaçons ce lit par quelque chose de moins confortable. Je tapote du bout du doigt contre le matelas, au fur et à mesure que le décor change, un bip monotone commence à se faire entendre. Les murs palissent et je me redresse pour la regarder dormir. Dehors, le jour concurrence la nuit dans une obscurité morbide, la neige des beaux hivers est imitée par les
cendres qui tombent en flocons. J'inspire profondément, expire et laisse échapper une odeur de mort partout dans la chambre d'hôpital, comme dans le couloir et les rues. Ma cape en lambeaux se camoufle en blouse. J'apprécie de jouer les médecins, ça a quelque chose de... prophétique. Annoncer la vie, annoncer la mort. Annoncer les difformités et la souffrance passée, présente, avenir. Je me rapproche de Clea et caresse ses doigts du bout des miens, les couvre de cette poussière qu'elle ne connaît que trop bien. Te souviens-tu, Clea ? Quand tu avais enfoncé les mains dans la poussière, réalisant que ton grand Amour était
perdu ? Toutes ces secondes d'attente, ces minutes d'angoisse, ces heures de tristesse, toutes ces longues années d'espoir à se rattacher au rêve d'un retour... qui n'arriverait jamais.
Me redressant, je porte la main à mon cœur. Ça fait mal, ça fait tellement mal, n'est-ce pas ? Nous sommes seuls, définitivement seuls. Je prends mon temps, j'aime particulièrement cet instant où le rêveur peut s'installer dans le sommeil profond, quand son sentiment de sécurité l'enfonce encore plus loin dans la forêt aux mille merveilles, sans qu'il ne pense au chemin retour. Je regarde vers l'horloge, vingt-trois heures. Je tourne autour du lit. Le tableau est parfait, le tableau est silencieux. Il n'y a qu'à permettre le réveil, le réveil doux. Doux. Doux. Douloureux. D'un geste brutal, j'enfonce ma main dans le sein de Clea. Ça fait mal, n'est-ce pas ? De réaliser qu'il est... N'est-ce pas la simple évocation de ce mot qui te tordait les tripes et te renversait le cœur ? Stephen est mort. J'accentue la pression sur son cœur. Réveille-toi.
Réveille-toi !* * *
Les paupières se lèvent. À l'extérieur, les sirènes font un chant lassant. Incomparable à côté des bavardages incessants des chaînes d'informations dans les chambres voisines. La chambre de Clea est à peu près silencieuse. Désertée des médecins, des infirmières, des aide-soignants, des visiteurs. Il ne reste que les flocons gris qui viennent lécher les vitres pour rappeler la triste réalité. Et au creux de la petite main serrée, un simple objet. Torturé entre le bleu et le
vert. Dans ses doigts crispés. Torturé entre le bleu et le vert. Dans sa main qui s'ouvre. Torturé entre le bleu et le vert. Je la regarde de loin, attends qu'elle découvre qu'elle n'est pas
enceinte, qu'elle n'a pas de pouvoirs, qu'elle n'a pas pu revoir son bien-aimé. Toutes ces étapes du deuil traversées... à tort. Tu sens la douleur dans ta poitrine, Clea ? Je pince les lèvres et bascule la tête sur le côté pour essayer de comprendre ses réactions, essayer de deviner ce qu'elle va faire. Je me laisse quelques minutes ainsi avant de donner deux coups brefs sur la porte de sa chambre et d'y entrer, avant même d'attendre d'y être invité. Mon visage ? Celui d'un sombre inconnu.
▬ Bonjour Clea. Vous semblez avoir meilleure mine ce matin. J'espère que vous avez bien dormi et que vous êtes prête pour notre séance du jour. Je vous ai apporté un jus d'orange, est-ce que vous en voulez ?
Je tire une chaise, savoure le bruit désagréable qu'elle fait en raclant le carrelage. Le parfum de l'alcool contre mes mains, la porte entrouverte de quelques centimètres qui laissent quelques morceaux de conversations s'échapper. Je place le dossier vers Clea puis m'assieds, en plaçant un porte-bloc sur ce même dossier. Mes jambes, de part et d'autre de l'assise. Je lève le regard dans sa direction et penche la tête sur le côté, retenant un
sourire :
▬ Clea, vous vous souvenez de moi n'est-ce pas ? Je suis le Docteur Grenats, Hale.
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