Bonne nuit Illyana

Il y a un pied qui pend dans le vide. Je pose la main contre la poignée, mets un simple tour de clef pour qu'on ne puisse pas venir nous déranger. Je revêts ma véritable apparence et progresse dans la chambre, la fenêtre est fermée et le silence si fragile d'ordinaire ne semble ici ne pouvoir être perturbé par absolument rien. Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions pas vus, si longtemps pour toi, petite fille...

Il y a un pied qui pend dans le vide. Je pose la main contre le bord du lit et regarde le mouvement du bras qui monte et descend au gré de tes respirations. À peine ai-je eu le temps de sortir et de revenir que tu n'étais plus là, comme s'il n'avait suffi que d'une seconde à l'extérieur pour que tu t'échappes. Combien de temps cela a-t-il duré pour toi, petite fille ? Un sourire se glisse contre mes lèvres, souvenir de ces sorties que nous avons eu l'occasion de faire et de cette sorte de courage stupide que tu montrais parfois en ma présence. Est-ce que tu veux une petite surprise, petite fille ? …

Il y a un pied qui pend dans le vide. Je te regarde dormir, sans me concentrer sur ton visage. J'aime observer les poings se serrer et les lèvres susurrer des mots interdits dans le conscient, des noms qui se perdent, des frayeurs qui s'échappent, des souvenirs qui pointent le bout de leur nez. Je m'accroupis sur le bord du lit, manquerais presque d'effleurer ton talon avec le bout de mon index mais ton sommeil est fragile, je peux le sentir. Je prends une longue inspiration. Une petite fille reste en surface, alors je pose mes mains à plat contre le parquet de ta chambre. Et j'avance à quatre pattes vers cette petite frimousse. Et si nous commencions un nouveau rêve, petite fille ?

Il y a un pied qui pend dans le vide. Changement de décor. Nous voici plongés dans ton rêve. Tu es assise à ton bureau. Tu es devenue une élève normale. Autour de toi, ils sont tous en train d'écrire, appliqués, parfois un bout de langue qui dépasse de leur bouche juvénile. Je passe entre les rangées, travesti en un enseignant quelconque. J'observe la copie blanche d'Illyana. J'espère qu'elle appréciera la surprise, oh ce n'est rien de bien méchant, pour une petite fille comme elle. Finalement, je m'éloigne pour aller m'adosser à ce lourd bureau de chêne. J'observe les aiguilles du coin de l'oeil, qui indique midi... d'ici sept minutes. J'esquisse un nouveau sourire :
▬ L'examen se termine bientôt, je vous prie de bien vouloir terminer.

Il y a un pied qui pend dans le vide. Elle a les jambes croisées. J'attends qu'elle émerge, qu'elle réalise la situation dans laquelle elle se trouve. Et comme les autres, elle ne réalisera pas le grotesque de la situation. Ces rêves-ci sont des petits bonbons, rien qui ne cale vraiment. Rien qui n'éteint l'appétit, mais qui offrent quand même un peu de plaisir. Je penche doucement la tête sur le côté en observant la petite fille penchée sur sa feuille blanche, le crayon de papier entre les mains. Les rayons de la lune sembleraient presque se concentrer sur elle quand ils ont passé l'épreuve des grandes vitres qui donnent sur le jardin.
▬ Mademoiselle Raspoutine, pourquoi vous êtes-vous présentée à l'examen... nue ?

Il y a un pied qui pend dans le vide. Bruits de chaises. Bruits de crayons qui quittent la feuille. Les autres élèves se tournent tous dans sa direction.