Things were all good yesterday ○ BillyBulle

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C'était le chaos. Littéralement. Dans les rues de Los Angeles, ce n'était clairement plus les anges qui régnaient sur la ville mais bien les démons qui émergeaient des failles de tous les côtés pour faucher les civils, et surtout leurs âmes marquées. Cela faisait des heures que Stephen, armé de son épée et de toute son expérience, combattait sans relâche les vagues de créatures de lave et autres démons infernaux. D'un bras, il tranchait têtes, bras, torses, ailes, tout en se protégeant, en protégeant des civils, ou en attaquant par des sortilèges de l'autre main. Aidé par sa plus ancienne et fidèle alliée, à savoir sa Cape de Lévitation, il se faisait insaisissable dans les airs, s'aidant parfois de runes circulaires tangibles pour rebondir d'un pied dessus rapidement, vriller, sauter à l'envers, et esquiver des rafales de feu ou des coups de griffes acérées. Ponctuellement, il retombait dans un portail suite à ses acrobaties aériennes pour ressortir par un autre et lacérer violemment un démon ailé en chemin. De l'intérêt de rester physiquement en forme. Bref, la routine, ou presque.

Des héros de la côte ouest luttaient tant bien que mal à ses côtés. Mais même avec leur aide, l'assaut laissait à peine assez de répit à l'ancien Sorcier Suprême pour espérer réfléchir convenablement à la situation tant son esprit était focalisé sur les attaques et défenses à mettre en oeuvre de tous les côtés, pour sa survie et celle de la population. Le seul avantage à cette occupation intellectuelle sous adrénaline était qu'au moins, il ne sentait plus la brûlure de la Marque des Enfers sur son avant-bras. Et cela l'empêchait de trop souvent s'inquiéter pour Clea à l'autre bout du pays, aux prises avec la même menace. Le genre de pensée qui le rendit inattentif l'espace d'une fraction de seconde, juste assez pour se prendre un revers de poing enflammé et être projeté brusquement à travers la vitre d'un bar quelques mètres plus loin. Il s'écroula contre le mur après avoir fracassé le comptoir, heureusement protégé par la Cape qui l'enveloppa et encaissa pour lui juste à temps, bien que son dos en sentit une partie du choc et que son épaule gauche fut lacérée superficiellement par les griffes de la bête.

« Gmpf. » Un peu sonné, Stephen bougea maladroitement, engourdi, mais loin d'être au tapis pour autant. Il avait vécu bien pire que ça et ça avait plus le don d'amplifier son agacement qu'autre chose. Des voix parvinrent à ses oreilles, et ce fut lorsque la Cape repoussa un morceau du bar tombé sur lui qu'il put voir l'écran de télévision accroché dans un coin de la salle. Les médias relayaient toutes les attaques qui avaient lieu en simultanée dans le monde, dont celle d'Asgard et de New York. Un monstre gigantesque était en train de ravager Manhattan, et Stephen reconnut sans mal au sursaut de son coeur la silhouette de Clea qui lévitait face à la bête, entourée d'autres héros qui tentaient tant bien que mal de la protéger. Son angoisse redoubla. Il se remit debout, et sentit un flot de chaleur lui fondre dessus quasi instantanément. Il eut à peine le temps d'invoquer un bouclier qui le protégea alors que la rafale le fit reculer de plusieurs mètres jusqu'au fond du bar. Il grogna de plus belle, définitivement énervé d'être pris pour cible. Son âme devait avoir une odeur particulièrement alléchante pour être sujet à un tel acharnement comparé à des civils lambdas. Un ancien Sorcier Suprême à l'âme entachée de méfaits inavouables, cela devait peser dans les Enfers.

Tout en gardant son champ de force, poing serré pour le maintenir devant lui, Stephen se baissa pour éviter une autre attaque, l'énorme bestiole de feu se frayant un chemin dans le bar pour le prendre au piège. Sa dernière attaque avait ouvert un trou béant dans le mur derrière lui, par lequel il aperçut les bords de plage. Malibu Beach n'était pas loin. L'ancien neurochirurgien arqua à peine un sourcil, songeur. « Mmm... » Le démon rugit, voulut abattre son poing sur lui, mais il ne fit que traverser le volute de fumée dans lequel le maître des arts mystiques venait de s'évaporer. Le démon releva ses yeux rouges dans le trou dans le mur pour apercevoir, très très loin, son ennemi lévitant au-dessus de l'océan, sa Cape flottant dans son dos avec une élégance certaine.

Stephen observa de son poste aérien la ville à feu et à sang. Combattre continuellement ne menait à rien, les démons ne cessaient d'affluer à mesure que lui et les héros en tuaient à la pelle. Il observa l'eau agitée quelques mètres sous ses pieds, et d'un ordre psychique, ordonna à la Cape de se détacher de son cou. Il tomba droit comme un i dans l'eau et usa des Vents de Watoomb pour créer des tourbillons sous-marins l'attirant plus profondément encore. Imperturbable, il s'arrêta lorsqu'il jugea la profondeur adéquate, et entreprit de se concentrer pour ouvrir un portail dimensionnel et invoquer un Principat élémentaire, basé sur l'élément de l'eau. Il agrandit le portail encore et encore, menant au-dessus de la ville entière, y mêlant le Principat pour lui intimer de guider l'eau et cibler les démons et non les civils. A mesure qu'il s'élargissait, les eaux de la mer s'y engouffraient et se déversaient en une cascade de plus en plus puissante sur la cité des anges. Le sorcier eut la magnanimité d'user d'un grillage pour empêcher les créatures marines d'y être aspirées malgré elle alors qu'il vidait littéralement l'eau de l'océan dans les rues. L'eau y dévala avec force et courants, jusqu'à tomber dans les failles et refouler les démons qui tentaient encore d'en sortir. Les démons des rues furent balayés, déstabilisés, les civils évités, contournés.

Le magicien s'engouffra à son tour dans le portail et chuta au-dessus de la ville. Un sortilège runique, et il se stabilisa dessus dans les airs. Un rugissement caverneux retentit. Toutes les failles s'étaient refermées pour enrayer l'invasion aquatique qui gênait la remontée, sauf une. Un énorme démon de roche et de lave en émergea pour se dresser tel un immeuble devant l'ancien Suprême, qui ne bougea pas. Un sifflement dans les airs. La Cape filait droit vers lui pour revenir depuis le dessus de l'océan jusqu'au cou de son maître. Les runes devenues inutiles disparurent sous ses pieds pour le laisser léviter face au monstre. Bien qu'exténué et blessé, Stephen décrocha l'épée de son dos et la fit tourner nonchalamment dans sa main, loin d'être inapte à finir son travail. Motivé à rentrer auprès de Clea au plus vite, surtout. « Par les Vishantis, si tu penses obtenir mon âme aujourd'hui, tu es dans l'erreur... Mephisto, » maugréa-t-il, nullement dupe sur l'identité du réel responsable, avant de s'élancer, épée brandie, droit sur la créature, en même temps que le reste des héros.




« Clea ? » A peine téléporté dans le Hall du Sanctum, Stephen s'empressa de parcourir chaque pièce du rez-de-chaussée à sa recherche avant de monter à l'étage, renvoyant l'épée à sa place sur le mur. Il savait qu'elle était rentrée, ayant projeté son esprit à Manhattan pour s'assurer qu'elle avait terminé de sauver la ville là-bas. Il la trouva enfin, près du canapé de la salle principale. Sans réfléchir ni regarder ailleurs, il se précipita vers elle pour la prendre dans ses bras et l'embrasser tendrement, terriblement rassuré de la retrouver saine et sauve. Il regarda son visage blessé, passant doucement sa main sur sa joue, comme désireux de vérifier qu'elle était bien tangible, bien réelle, là devant lui.

Mais son regard fut accroché par la silhouette qui se dessinait sur le canapé non loin. Celle d'un jeune garçon brun, qui buvait une tasse de chocolat chaud et semblait plus que mal rien qu'à l'aura tétanisée et choquée qu'il dégageait.
Instantanément, il se redressa légèrement dans sa posture, toisant l'intrus dans sa demeure. Il le scruta d'un regard perçant et jaugeur de bas en haut, usant de son troisième oeil au passage pour s'assurer qu'il n'y avait aucun danger. Il se doutait que Clea ne l'avait pas amené ici sans raison, mais par réflexe, il préférait s'en assurer par lui-même. Il fronça très légèrement les sourcils en découvrant l'aura mystique étrange et étonnante qui émanait de l'adolescent, sans parvenir à en saisir tous les tenants par ce seul scan rapide.
Mais une chose était sûre, sa curiosité en était intérieurement titillée malgré lui, et son cerveau exténué fut tout de même capable de recouper progressivement les pourquoi du comment ce garçon était là. La preuve en fut le regard qu'il échangea avec Clea l'espace d'une seconde, lui signifiant qu'il n'était pas dupe sur ce qu'il entrevoyait comme ses intentions à venir. Tout New York était traumatisée, dont bien d'autres enfants et adolescents, et elle n'avait ramené que lui. Clairement, il n'était pas dupe, non. C'était le garçon dont elle lui avait parlé. Celui qu'elle surveillait depuis qu'elle était devenue Suprême de la Terre, à la recherche d'un potentiel apprenti. Il reporta son regard sur le garçon, toujours impénétrable, tentant de savoir s'il pouvait prétendre à ce rôle. Il lui semblait bien fragile, prostré ainsi. « William Kaplan... Je suis le Docteur Stephen Strange, » déclara-t-il finalement en guise de bonjour officiel. « Sois le bienvenu au Sanctum Sanctorum... Toutes mes condoléances pour ta famille, » ajouta-t-il sobrement, intérieurement sincère, sans pour autant montrer davantage de chaleur dans son accueil et sa compassion, en éternel stoïque.

« Clea a besoin de soins. Si tu veux bien nous excuser, ce ne sera pas long... Wong est à disposition si tu as besoin de quelque chose, » dit-il poliment, avant de se retourner se rendre à l'infirmerie avec Clea après un regard entendu qui disait clairement qu'il devait aussi lui parler. Mais la soigner, d'abord. Il s'y attela à peine isolés tous les deux, inquiet pour son état de santé même si aucune blessure mortelle n'était à déplorer.
Il passa ses paumes enchantées par des sortilèges de soin sur ses plaies avec douceur, avant d'entrer dans le vif du sujet. « Dis-moi que tu ne comptes pas le garder ici plus de quelques jours... » Il s'était attendu à tout sauf à ce que celle qu'il aimait ramène un adolescent brisé chez eux. Il aimait se convaincre, faussement, que c'était temporaire. Sans être dupe là encore. Il devait juste en avoir le coeur net.

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Stephen savait. Il avait compris dès l'instant où il avait trouvé l'adolescent sur le canapé, Clea auprès de lui. Celui-là même dont elle lui avait souvent parlé, surveillé à distance par les soins de la Sorcière Suprême. Quand lui, auparavant, surveillait subtilement la mère de ce garçon, sans même connaître aujourd'hui ce lien de parenté pour le moins troublant. Il avait compris les intentions de la Faltine, à la logique implacable et naturelle du fait de la situation. Pour tout dire, Stephen aurait agi de la même manière dans sa position. Seulement... aujourd'hui, il n'était plus lié par ce fardeau, il était enfin libre de vivre une vie, sa vie. De vivre tout court, et non de vivre pour seulement effectuer son travail de protecteur mystique. Il était enfin libre de rester auprès de la femme qu'il aimait, même si elle-même était entachée de mille fardeaux à son tour. Il pouvait la soutenir, rester auprès d'elle, vivre enfin à deux après un demi-siècle de relation chaotique et réfrénée.

Alors oui, Stephen se savait égoïste dans son désir de ne pas avoir un nouveau colocataire permanent au Sanctum Sanctorum, qui leur imposerait de ne pas agir à leur bon vouloir en tout lieu et tout temps. Il se savait égoïste, et s'en sentait mal, aussi resta-t-il muet aux paroles de Clea, se contentant de savourer en silence l'agréable chaleur douce qui irradia sa joue, sa paume délicate posée dessus. Lui-même s'attelait à soigner ses plaies avec tout autant de minutie et d'attention, efficace tel le chirurgien émérite qu'il avait été, et qui aujourd'hui soignait toujours, certes, mais au travers de sortilèges et d'incantations.

« ...je ne peux décemment pas le laisser repartir maintenant qu’il n’a plus personne… » « Bien sûr que nous ne pouvons pas... » murmura Stephen, mis devant l'évidence. Savoir que l'adolescent venait de perdre tous ses proches en une seule journée le peinait sincèrement. Cela le renvoyait pour ainsi dire bien malgré lui à sa propre situation familiale dramatique, aussi avait-il bien plus de compassion qu'il ne le laissait paraître sous ses airs impassibles, concentré sur la guérison des hématomes de Clea. Il détestait la voir blessée, même superficiellement. Cela lui rappelait à quel point leur bonheur pouvait être brisé en une seconde, si un jour l'un d'eux ne revenait pas vivant de ses interventions mystiques. « Après tout… Je ne fais que reproduire ce qu’un certain sorcier a fait pour moi, cinquante-cinq ans plus tôt. » Il étira un léger sourire en coin à ces mots. « Oh, je te vois venir... » murmura-t-il, légèrement amusé malgré lui de la voir user de ses propres ruses verbales contre lui, de leur propre passé. « Il a tellement de potentiel [...] » « Clea... »

Il n'ajouta rien, accueillant son front contre le sien. Il ressentit l'ampleur de sa fatigue, de ces poids sur ses épaules. Il ferma les yeux à son tour, pour simplement savourer ce moment de répit. Il venait de guérir ses dernières blessures, et elle les siennes. « J’ai besoin d’un apprenti, Stephen, tu le sais. Mais je ne pourrai pas y arriver toute seule, et certainement pas sans ton aide. J’ai besoin de toi, s’il te plaît… » Le sorcier soupira doucement. Il avait eu peu d'espoir de pouvoir inverser la tendance, même pas sûr de vouloir le faire vraiment, au fond. Ce garçon avait besoin d'aide, et plus encore, d'un foyer protecteur, chose qu'il ne pourrait trouver nulle part ailleurs tant des entités mystiques ne tarderaient pas à sentir son existence et son potentiel. Pour toute réponse, il se contenta de franchir les quelques centimètres qui séparaient ses lèvres des siennes, le temps d'un baiser aimant et apaisant après tant de chaos. « Je t'aiderai... à le garder en vie, pour commencer. Visiblement. »


Des ondes de lumière inondèrent la dimension dans laquelle Billy s'était retrouvé happé et piégé. La silhouette de Stephen se dessina telle une ombre aux yeux clairs par pur contraste, main tendue devant lui. Ses lèvres se mouvaient avec lassitude mais concentration, dans un langage que lui seul comprenait. Ainsi que la créature tentaculaire. Celle-ci sembla lui répondre par des grognements déçus, et, appréciant peu la lumière mystique qui émanait du sorcier et encore moins son aura autoritaire, elle consentit à desserrer son emprise et à relâcher progressivement le jeune garçon, non sans laisser sur lui de multiples traces baveuses. Stephen poursuivit sa lévitation jusqu'à lui, dans le noir redevenu absolu autour d'eux, hormis autour de lui.
Ses pieds touchèrent le sol invisible juste devant le visage de l'adolescent encore à terre, qu'il toisa de toute sa hauteur. Ce gamin n'était pas là depuis une heure qu'il venait déjà de frôler une mort atroce de la manière la plus stupide qui soit. La curiosité. Et obéir à un chien fantôme qui parle. Le dépit imprégnait son visage pourtant stoïque. D'un geste de la main, il invoqua une énergie orange qui vint l'entourer pour le soulever du sol et le faire léviter face à lui de nouveau droit. Loin de s'arrêter là, Stephen le fit tourner lentement dans plusieurs sens pour l'ausculter visuellement et mystiquement dans sa globalité, avant de le remettre face à lui. Tête à l'envers au niveau de la sienne, ses cheveux noirs tombant dans le vide. Ses yeux se plissèrent légèrement en croisant son regard.

« Tu apprendras qu'il est peu recommandé d'ouvrir des portes sans autorisation lorsqu'on n'est pas chez soi, en particulier chez un sorcier. Au moins tu auras fait la connaissance de Shaktara. Elle fait partie de l'un de nos nombreux moyens de sécuriser le Sanctum, en plus de limiter naturellement la prolifération des gnomes. Elle ne te connaissait pas, il faut l'excuser. Tu es chanceux, cela dit. Etant en période de ponte depuis quelques semaines, elle n'a pour autant pas laissé d'invités indésirables dans ton organisme, » expliqua-t-il, à présent sûr qu'effectivement sa bave visqueuse n'avait pas déposé de bactéries reproductrices. Stephen fit volte-face et lévita grâce à sa Cape vers la porte de sortie demeurée en hauteur à quelques mètres plus loin, Billy lévitant derrière lui à son seul contrôle. Une fois de retour dans le salon principal, il referma la porte et déposa le jeune homme pieds sur le plancher. Un geste de la paume vers lui et une onde fut projetée sur lui pour lui passer à travers, éliminant dans la foulée tout élément provenant de la créature, bave comprise. Il était comme neuf. Ou presque. Stephen ne pouvait pas grand chose pour les dommages psychologiques.

« Tu n'avais qu'un travail à faire... » reprit le maître des lieux. Son regard fixait toujours Billy, avec toute sa curiosité sévère, cherchant à déceler le prodige derrière cette dégaine épuisée. On aurait pu croire qu'il le grondait lui, mais il finit par tourner la tête sur sa gauche, vers le sol, pour planter ses iris sur le plancher. Finalement, la tête de Bats, qui avait tenté maladroitement de se planquer, ressortit lentement jusqu'à ce qu'il se retrouve assis sous le regard autoritaire du magicien.
« Pardon, Stephen. » Le chien ravala sa défense, selon laquelle il avait prévenu le garçon. Prévenu ou pas, il était un invité ici, ignorant de tous les éléments mystiques et étranges de ces lieux. C'était à lui de le garder sereinement sur ce canapé, gnomes ou pas. Clairement, en l'impliquant dans la traque de gnomes dont le garçon n'avait aucune connaissance, il avait commis une erreur. Il aurait dû s'en charger seul, ou appeler Wong. L'ancien neurochirurgien n'appréciait que très peu que la vie de gens innocents soit mise en danger inutilement, surtout dans sa propre demeure. Et alors qu'il venait de survivre à un assaut des Enfers, littéralement. Il avait tout sauf besoin de ce genre de sensations fortes supplémentaires.

Planté au milieu du salon, à deux mètres à peine de Billy, Stephen avait joint ses mains dans le dos, dans sa posture droite et scrutatrice habituelle. Il ne savait que penser de ce jeune, hormis qu'il possédait des pouvoirs dont il ignorait tout. Et qu'il ne serait peut-être jamais à même d'exploiter sans danger, sans discipline. « Comme Clea te l'a déjà dit... ainsi que Bats... » Son regard dévia une courte seconde vers le chien, qui lui, dévia aussi son regard pour éviter le sien l'air de rien, toujours peu fier de sa bourde. « Tu es ici chez toi, désormais. A quelques... salles près. Le Sanctum Sanctorum est le lieu le plus sécurisé de cette dimension terrestre. A l'intérieur de ses murs, que Clea ou moi soyons là ou non, aucune menace physique ou mystique ne pourra t'y atteindre, tu y trouveras toujours un refuge si tu en pousses la porte. »

Il tentait, maladroitement, et malheureusement de manière trop cartésienne, de le rassurer, de lui offrir un sentiment de soulagement et de sécurité après avoir été traumatisé par une attaque géante de démons. « Tu dois avoir beaucoup de questions, et nous essaierons d'y répondre dans la mesure du possible. A condition que tu te sentes en capacité d'en entendre les réponses. » Sinon, ne les pose tout simplement pas. Toujours le don de mettre à l'aise et d'être chaleureux. Il n'ajouta rien, et laissa Clea revenue parmi eux se charger de prendre en charge l'adolescent. Pour éventuellement lui proposer d'être bien plus qu'un orphelin abrité, mais bien un apprenti sorcier.

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Clairement, Stephen n'était pas la personne la plus expressive du monde. Plus une situation le touchait, et moins il s'autorisait à laisser transparaître la moindre émotion, le moindre sentiment, comme un système défensif compensatoire. Quoi qu'il laissait penser, l'histoire tragique du jeune adolescent le touchait. Mais tel le neurochirurgien doué qu'il avait été, il se devait, tout autant dans les arts mystiques, d'enfouir cela au profit d'une analyse clinique, empirique, froide et efficace. Dans son ancien métier, les émotions ne sauvaient pas les patients des blocs opératoires. Elles paralysaient les médecins dans le chagrin et la submersion d'une panique trop humaine pour gérer l'urgence. Il en avait été de même aujourd'hui, pour protéger les populations tant bien que mal. Mais contrairement à Clea, Stephen peinait à sortir de ce carcan une fois le travail accompli. Il était devenu son quotidien depuis plus d'un demi-siècle, et seule la belle Faltine était parvenue à voir au-delà, et à faire renaître l'humain qui se trouvait dessous.

De la même manière, celle-ci savait trouver les mots et les gestes envers le jeune homme, bien plus spontanément et efficacement que lui. Stephen persistait à analyser la situation, à en envisager tous les tenants et aboutissants derrière son faciès imperturbable. Former ce sorcier était inévitable, mais la tâche serait ardue, non pas tant parce qu'il partait de rien, mais aussi et surtout parce que la situation de Clea comme la sienne n'était en rien faciles. Elle devait gérer deux dimensions, en plus de régenter toute une dimension, un royaume. Et lui n'était plus Suprême. Il l'aidait comme il le pouvait à chaque instant de chaque journée déjà éreintante pour elle. Ils allaient devoir revoir une fois de plus leur emploi du temps pour y inclure Billy à sa juste valeur. On ne pouvait n'être qu'à moitié présent en tant que mentor. Ils allaient devoir se dédier entièrement à lui. A deux. Afin de conjuguer le reste avec cette tâche.

« Tu n'aurais rien pu faire. Personne n'a rien pu faire, » intervint Stephen, lorsqu'il sentit le jeune garçon sombrer de nouveau dans de douloureux souvenirs. « Prends ton temps pour faire ton choix. Ce n'est pas une décision que tu dois considérer à la légère. Une fois apprenti sorcier, tu emprunteras un chemin somme toute passionnant, mais long, fastidieux... et dangereux. Ce que tu as affronté aujourd'hui n'est qu'un aperçu du quotidien que tu auras à affronter par la suite si tu choisis de suivre nos enseignements et de les assumer. Il n'y aura pas de retour en arrière possible, » ne put-il s'empêcher de le mettre en garde, avant de saisir le regard de Clea qui sembla désapprouver ses paroles. Non pas dans leur sens véridique, mais plutôt dans le moment choisi pour les prononcer.

Encore une fois, Stephen avait laissé son pragmatisme parler avant sa compassion. A moins qu'au contraire, il n'ait préféré plonger le garçon dans ces considérations objectives pour espérer ne pas le laisser plonger dans des souvenirs cruels... tentative des plus maladroites et soumise à mauvaise interprétation, comme souvent avec le magicien.

« Comme l'a dit Clea, tu es désormais ici chez toi, en sécurité. Repose-toi... la ville ne sera pas remise de cette attaque avant plusieurs jours, il en va de même pour la réouverture de ton lycée. Quand tu seras prêt à nous répondre, nous serons là. Quelque soit ta décision... » acheva Stephen, définitivement tout sauf doué pour être agréable. La détresse morale de l'adolescent le touchait bien trop et le déstabilisait. Alors il faisait bloc pour ne pas se laisser atteindre, et restait de marbre, en apparence.

Il laissa Clea s'occuper de lui, et quitta le salon sans autre mot, la cape volant sur ses talons alors qu'il s'éloignait vers la pièce qui lui servait de bureau. Mais en passant la porte il invoqua silencieusement un portail et son pied, en passant le seuil, toucha le sol encore brûlant d'une des rues de Manhattan, dévastée comme bien d'autres. Protégé par des sortilèges de la chaleur, ses bottes firent craquer les débris incandescents sur lesquels elles marchèrent, à travers la maison en ruines de la famille Kaplan. L'Oeil d'Agamotto lui aurait bien utile en ces lieux, pour y voir la maison dans le passé, avant l'attaque. Pour comprendre le foyer de son nouvel apprenti, traumatisé irrémédiablement depuis.

Par divers sortilèges et gestuelles, Stephen fit virevolter doucement les ruines pour tenter de scanner et trouver des éléments peu ou pas endommagés, bien qu'avec peu d'espoir en la matière. Le peu qu'il trouva, il le rangea dans une poche dimensionnelle, car cela lui servirait plus tard. Mais avant de revenir au Sanctum, il demeura longuement sur place, à s'imprégner des énergies mystiques encore mourantes dans l'atmosphère. Une famille entière avait péri dans ces flammes. Ses mains, bardées de cicatrices dues à son accident, se crispèrent légèrement sur le cadre photo légèrement carbonisé. Il y avait bien longtemps que sa propre famille avait péri aussi. En un sens, ce jeune adolescent faisait un peu trop écho à son propre passé, sous certains aspects.

Il lui avait dit avoir le temps de répondre, et donc le choix de dire oui ou non à la proposition de Clea. Il lui avait menti. Le coeur du sorcier était rongé par la compassion et le chagrin, face à cette photo de famille désormais détruite. Il savait que le jeune homme n'avait en vérité pas le choix. La vie, la magie, le destin, rien ne le lui laisserait. S'il refusait d'apprendre les arts mystiques, de garder une vie normale, les ennemis eux, ne le feraient pas. Ils le sentiraient, sentiraient son aura différente, et viendrait le traquer pour le tuer par peur qu'il ne devienne un sorcier. Jamais il ne serait plus en paix. Mais ça, Stephen s'était gardé de le lui dire, dans une rare illumination de compassion.

Il n'aurait pas d'autre choix que d'apprendre, pour se renforcer, et survivre, au minimum. Devenir un sorcier reconnu et aidant les autres, accessoirement. Une vie qui serait chaotique, constamment semée de dangers et de choix douloureux. Stephen ne savait que trop bien ce qui attendait Billy. Et pour cette raison, il savait d'avance qu'il se devrait d'être exigeant en tant que mentor en soutien à l'apprentissage que lui donnerait Clea. Pour le préparer au pire, il allait devoir être lui-même le pire. Quitte à ne jamais être apprécié pour cela. La routine. Tant que cela lui sauvait la vie, le magicien l'acceptait volontiers.

Le cadre photo s'évapora dans sa main sur son fait mystique à peine perceptible, rejoignant les autres objets ramassés dans la poche dimensionnelle. Passant un portail, Stephen rejoignit Clea, enfin seule après avoir laissé Billy se reposer enfin. Un seul regard et il sut qu'elle-même était triste et ébranlée par cette journée, et ce qui était arrivé à son nouvel apprenti brisé en mille morceaux. Sans un mot il l'enlaça et la serra contre lui pour apaiser son chagrin perceptible, embrassant sa tempe en silence. A eux deux, ils allaient veiller sur lui. A eux deux, ils allaient faire de leur mieux pour que cet orphelin, en un sens, ne le reste pas vraiment.